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Réseau d'évasion "François - SHELBURN"
d'aviateurs alliés pendant la 2ème Guerre Mondiale
Introduction
Plusieurs auteurs de livres :
plusieurs sites Internet :
ont décrit l'épopée du vaste réseau d'évasion Shelburn3, chargé du recueil et de l'évasion4, vers la Grande Bretagne, des équipages des avions alliés abattus sur le sol français pendant les années 1943/1944 de la 2ème guerre mondiale, durant la période où celui-ci était occupé par les troupes allemandes.
L'anse Cochat, près de Plouha - dans le département actuel des Côtes d'Armor - dite "plage Bonaparte" - était le lieu proposé par l'équipe locale et retenu par les services secrets britanniques (MI 9) pour l'embarquement clandestin des pilotes alliés sur une vedette rapide de la Royal Navy. Une stèle y commémore ce haut lieu d'une face particulière de la Résistance où les hébergeurs des évadés - durant des phases souvent longues, dans l'attente de conditions météorologiques et maritimes propices - et leurs accompagnateurs jusqu'à la plage, ont fait preuve, au péril de leur vie pour nombre d'entre eux, d'un dévouement et d'une efficacité secrète remarquables.
note 1 : Dont extrait en français dans "Missions dangereuses et services secrets" - volume II - Sélection du Reader's Digest - 1974.
2 : Probablement le plus exhaustif, véritable thèse sur les filières d'évasion d'aviateurs alliés en Bretagne.
3 : Probablement du nom d'un homme poltique britannique du 18ème siècle : William Petty Fitzmaurice, 2ème comte de Shelburne. Source : http://almrd22.fr/Shelburne-sauve-138-aviateurs.
4 : Mot de l'époque ; pour ce type d'opération on utiliserait, actuellement, plutôt le terme d'exfiltration.
Mais, derrière la présentation des spectaculaires et efficaces actions de terrain, nul n'a jamais exposé la structure complexe que constituait en réalité la filière Shelburn constituée autour de Paul François Campinchi : chef, pour la France, du réseau "François-Shelburn". Si ce dernier est cité, c'est soit avec une grande imprécision : certain auteur parle de l'intervention d'un « intermédiaire nommé CAMPINCHI, alias "François" ... », soit, faussement, un autre, s'affichant lui-même comme "le" responsable, lui confie des tâches : « CAMPINCHI accepta de prendre charge de la région parisienne ... »,
Deux raisons peuvent justifier ce silence :
- l'indispensable cloisonnement d'un réseau clandestin dans les conditions sévères de la surveillance allemande (Gestapo - police secrète d'état - et Abwehr - police militaire) et du gouvernement de Vichy (Milice) ;
- l'extrême réserve de Paul Campinchi, qui, malgré les multiples relances de ses partenaires de résistance, devenus amis, n'a jamais consenti à publier un livre sur le réseau qu'il dirigeait.
Certes des documents, établis par lui, figurent dans les archives de "l'Association nationale des chefs de réseau" mais aucune analyse détaillée n'en a, à ma connaissance, été faite.
J'avais quelques années lorsque ces événements ont eu lieu mais je me souviens encore de certains épisodes qui m'avaient frappée, je les citerai ci-dessous ; puis pendant la période la plus secrète, qui sera explicitée plus avant, comme je l'ai déjà dit, j'ai été envoyée à la campagne, puis en pension, avec quelques rares permissions pour revoir brièvement mes parents. Après la guerre j'ai connu les membres du réseau qui avaient échappé aux nombreuses arrestations, ainsi que des membres de la Résistance extérieurs au réseau5.
5 : André Le Balc'h, Raymond et Lucie Aubrac, en particulier, puis de nombreux membres de "l'Association nationale des chefs de réseau" - aux réunions de laquelle j'accompagnais mon père lorsqu'il a été plus âgé - dont G.Broussine, chef du réseau "Bourgogne", qui avait pu, grâce â Shelburn, faire évacuer de nombreux aviateurs par les vedettes de Plouha, M. Pigagnol et M. Loiseau. Tous lui témoignaient un grand respect.
Il m'est donc apparu indispensable, d'établir, voire de rétablir, au plus près, la vérité historique du fonctionnement du réseau Shelburn, d'en reconstituer le puzzle, et de rappeler le dévouement anonyme de tous ses membres, dans les conditions particulièrement difficiles de cette époque de la fin de la Seconde guerre mondiale.
Outre les livres cités au début, j'ai majoritairement utilisé les archives personnelles6 de Paul François Campinchi : manuscrits et brouillons dactylographiés de réflexions ou de préparation de documents demandés par l'Administration : Préfecture de Police de Paris ou le Ministère des Armées aux FFC7, dont il était membre, les citations décernées par les divers pays alliés, ainsi que les archives disponibles à la Bibliothéque nationale de France, au Service Historique de la Défense et à la Préfecture de Police de Paris. Il m'arrivera, certes, d'apporter des témoignages personnels qui risquent d'être, comme tous les témoignages humains, jugés comme non vraiment historiques, mais ils constituent pour moi le lien entre des preuves éminemment concrètes.
6 : Bien évidemment postérieures à la Libération, pour des raisons de secret en cas d'arrestation ; recueillies et classées après son décès en 2003, dans sa 100ème année.
7 : Forces Françaises Combattantes.
Je suis en outre parvenue quelquefois à "confesser" mon père qui, devenu mal voyant, me dictait des pages de réflexions ou d'informations sur les membres du réseau.
Pour préserver au maximum la vérité historique des faits, j'ai procédé de la manière suivante :
Les textes dictés par mon père ont été dactylographiés, de même que les transcriptions de ses textes manuscrits, de lecture difficile. Ceux-ci étaient apparemment des "premiers jets" ; il est probable qu'ils eussent été remaniés, peaufinés, en cas d'une édition ; ils ont, volontairement de ma part, été laissés dans leur état initial.
Quand il s'agit de documents dactylographiés d'époque, ils sont présentés tels quels, sauf si leur qualité (papier pelure) impose une transcription.
Il m'est apparu opportun de commencer par un texte8 de Paul Campinchi, écrit vers 1944-1945, retrouvé dans le tiroir d'un meuble dans sa maison du Cap Ferret, en août 2000.
8 : (arch.P.Camp.).
« LA SOLITUDE DU CHEF DE RESEAU
C'est un homme seul. Si l'on avait à décrire l'univers du "chef de réseau", on pourrait intituler cet exposé : "l'île déserte".
Lui seul, peut-être, connaît pleinement le tragique isolement du chef. De même que dans les cours l'étiquette supplée à tout, dans les armées la hiérarchie et l'échelonnement des grades multiplient et divisent la responsabilité. En cas de difficulté on en réfère à l'échelon supérieur Tout ce qui est prévu, normal, fait l'objet d'un réglement qui descend en cascade jusqu'à l'élément d'exécution, en recevant à chaque degré la petite impulsion émise par une parcelle d'autorité.
Comme il est dit plus haut, le moindre incident provoque une demande d'ordre qui remonte jusqu'à la source de l'autorité. Encore le dispensateur de cette autorité peut-il se couvrir d'une autorité supérieure.
Rien de pareil pour le chef de réseau en pays ennemi ou contrôlé par lui, car il est seul pour prévoir et ordonner. Il est seul et tout puissant, et écrasé par cette toute puissance même. En dehors, bien moins de directives générales que de la mission précise dont il est chargé, il a dû tout créer par lui-même : les moyens d'exécution, les organismes, leur administration et la règle, la discipline, la façon dont lui-même a pu concevoir le respect de son autorité et les moyens de l'imposer et de la protéger.
Il est moins officier que chef de guerre, maître de société secrète, il est aussi intendant, administrateur et, parfois, juge dont les arrêts sont sans appel.
En cas d'échec, il est seul responsable ; en plus il est le but suprême de toutes les recherches de l'ennemi, car sa capture, non seulement supprime le réseau dont il est le cœur et le cerveau, mais peut percer les secrets dont il est le seul dépositaire.
Il lui faut s'habituer surtout à se soustraire aux influences de son entourage, de cette espèce de cour en laquelle se transforme irrésistiblement son état-major. Il lui faut se contraindre à se déplacer seul, de rendez-vous en conférences, pour ne pas céder à des questions d'amour-propre ou de gloriole. Il doit être ce que les Anglo-Saxons ont appelé le "loup solitaire" et ne paraître que lorsque sa présence est nécessaire. Les Latins aiment l'image du "chef qui marche à la tête de ses troupes" ; plus pratiques et plus logiques, les Anglo-Saxons, ainsi que les Germains d'ailleurs, estiment que la mort ou la capture du chef d'un réseau secret adverse est une victoire totale, de même que la prise d'une capitale est la fin victorieuse d'une guerre ouverte.
Cynique et froid dans son comportement aussi bien que dans ses entreprises, il ne doit se soucier que du succès immédiat et de la permanence de son organisation dont l'existence même dans le "camp des Barbares" constitue pour ceux-ci un danger de tous les instants.
Il n'est pas plus un chef de "Frères de la côte" que de "kamikazes" ; l'amour de la gloire, la rancune, la violence inutile (de même que la pitié inutile) doivent lui être étrangers. Qu'il se méfie car il a sous ses ordres des patriotes exaltés, révoltés contre l'oppresseur étranger, et à qui la subtilité de ses calculs et le cheminement de sa pensée sont incompréhensibles. Ils se battent souvent par haine, pour se venger, par goût de l'aventure. Ils ont un faible pour l'action immédiate et violente, ils désirent par dessus tout connaître le résultat de leurs efforts.
Or le chef de réseau, lui, sait qu'il alimente un centre de documentation général jamais satisfait car il importe que les chefs d'armées sachent tout de l'adversaire sans que pour cela chaque élément d'information soit fatalement utilisé. S'il s'occupe de sabotage, il sait que certaines destructions ne sont importantes qu'à un moment donné et que ce ne sont pas toujours celles dont le résultat est le plus spectaculaire. S'il est technicien de l'évasion il s'efforce de récupérer les spécialistes rares, sans s'intéresser à la personnalité des individus, car il n'est qu'un récupérateur d'armes en état de servir.
La victoire, pour lui, c'est de survivre en conservant jusqu'au bout tout son réseau en état de fonctionner. La vie des agents ressemble à ce jeu d'enfants : "le gendarme et le voleur". Le triomphe du policier c'est la capture de l'adversaire ; pour l'agent secret la capture est sa défaite, la preuve de sa maladresse ou de sa malchance, ce qui, pour un guerrier, est la même chose. »
Ce document transmis à Raymond Aubrac donna lieu à la réponse9 suivante de celui-ci :
9 : (arch.P.Camp.).
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