Conditions d'établissement de liaisons radio clandestines entre la France et la Grande Bretagne pendant la 2ème guerre mondiale1

Note 1 : Document réalisé avec l'amicale aide technique de Louis Cordeau, ancien ingénieur à la Division Télécommunications de la Thomson-CSF, devenue Thales.

Il paraît indispensable dans la phase de "mémoire", que nous rencontrons actuellement de la part des enfants de ceux qui ont participé aux actions de résistance, que les jeunes lecteurs, noyés dans la FM, les ordinateurs, les téléphones multi-usages, les IPAD, la Wifi et les réseaux sociaux ... aient connaissance des moyens techniques limités disponibles à l'époque et des contraintes d'exploitation afférentes, donc des risques que rencontraient les opérateurs.

Pour des liaisons clandestines d'un réseau tel que François-Shelburn, deux types de communication étaient pratiquées :

lampe de poste radio

Lampe de radio
constituée
dans un tube à vide

1 - Des liaisons point à point entre des stations fixes installées en Angleterre et des stations mobiles en France exploitées par des opérateurs radio spécialisés parachutés - avec leurs postes - après une longue période de formation.

Pour fabriquer des émetteurs-récepteurs radio seuls existaient alors les tubes (lampes) électroniques2

donc peu adaptés à des équipements portables.

2 : Les transistors, basés sur les propriétés des semi-conducteurs, ont été inventés en 1947 par Williams Shockley et Walter Brattain.

Leur alimentation électrique se faisait soit par batteries (qu'il fallait recharger régulièrement) ou sur le secteur alternatif. C'est la raison pour laquelle, grâce à l'aide d'agents des chemins de fer, certaines émissions étaient réalisées à partir de quartiers où la fourniture de courant étant impérative (gares par exemple, ou hôpitaux), les Allemands ne pouvaient le couper.

émetteur récepteur

émetteur-récepteur dans une valise

Pour des raisons évidentes de transport et de discrétion, ces postes étaient différents de ceux qui équipaient les militaires sur le champ de bataille. Le plus souvent ils étaient intégrés à une valise de voyageur.

Nous manquons d'informations précises concernant les matériels mis à la disposition du réseau par les services anglais. Dans le brouillon dactylographié d'une interview (par une personne non identifiée) de Paul Campinchi, corrigée de la main de celui-ci3, figure : « [le réseau] François n'emploie pas le poste Mark 5, ou le poste dit polonais, puissants, en usage dans les réseaux, mais lourds (format mallette) et repérables. Il préfère les petits postes (Paraset4) qui émettent sur une lampe et reçoivent sur deux.

Ils sont faibles et d'un maniement difficiles, mais leur avantage est d'échapper à tout repérage par radiogonométrie [il faudrait plus justement dire : moins repérables, car de puissance émise faible]. On pouvait [...] réduire au maximum la durée du message et changer de lieu d'émission. Par prudence [le réseau] François disposait de huit ou dix appartements ; il avait fait camoufler les postes dans des boitiers d'appareils scientifiques pour rendre sans danger leur transport sous l'aspect de thermocautères ou d'encéphalographes5 ».

3 : (arch.P.Camp.)

4 : Paraset : en anglais, équipement de parachutiste.

5 : Rappelons que la maintenance des postes était assurée par le docteur en médecine Jean Peiffert, professeur de physique, dans les laboratoires de la Faculté de médecine de Paris.

émetteur récepteur

Émetteur-récepteur "Paraset"

Les transmissions aux distances considérées (France-Londres) se faisaient dans la gamme HF (3 à 30 MHz), par réflexion sur la couche ionosphérique. Les fréquences de fonctionnement étaient déterminées par des quartz taillés, chacun d'eux pour une seule fréquence.

quartz

Il est évident que les messages échangés, dans les deux sens, entre la France et l'Angleterre étaient systématiquement écoutés et enregistrés par les Allemands pour en connaître le contenu. A cet effet les messages devaient subir un traitement secret : le "chiffrement".

A l'époque il n'existait aucun moyen pour effectuer le chiffrement de la voix (les interlocuteurs parlant entre eux comme dans un téléphone) ; le trafic se faisait donc obligatoirement en télégraphie, chacun des deux correspondants émettant à la suite l'un de l'autre. Le message était transmis suivant le code "Morse" : les lettres et chiffres étant représentés par une combinaison de points (émission brève) et de traits (émission longue, un trait étant trois fois plus long qu'un point), par exemple :

a = • —
b = — • • •

manipulateur morse

Manipulateur Morse

Pour émettre, les opérateurs utilisaient un interrupteur spécial appelé manipulateur, avec lequel ils obtenaient une vitesse d'émission de l'ordre de 350 points par minute, ce qui, compte tenu du fait qu'un trait équivaut à 3 points et des espaces inter-signes, inter-lettres et inter-groupes de 5 lettres, correspond à environ 7 groupes par minute. On les appelait les "pianistes".

L'écoute des signaux reçus se faisait, elle, par une paire d'écouteurs classiques.

Le chiffrement (passage du message clair au message chiffré), ainsi que le déchiffrement (retour au message en clair) sont des opérations très complexes, faites alors manuellement par une méthode de double transposition, opération longue et délicate6, toute erreur côté émission, ou côté réception, rendait le message incompréhensible.

6 : On estime à environ une heure le temps nécessaire pour chiffrer, ou déchiffrer, un message de 400 lettres.

Le procédé de chiffrement utilisé alors mettait en œuvre un nombre, ou une phrase, mémorisés, servant de clé disposée dans un tableau sur lequel on écrivait le message à traiter.

« Exemple7 :

Message à transmettre : "Envoyez urgence munitions"

Clé de chiffrement : 651423 (qu'on replaçait souvent par une ligne de poésie qu'on apprenait par cœur ; l'inconvénient en était que l'agent pris risquait, sous la torture, de dévoiler la clé, ce qui permettait à l'ennemi de retrouver le message en clair).

Le message devient finalement : "RSUE MENZ VNGI YIUT EOE ONNC"

Les lettres sont ensuite groupéees par cinq pour donner le télégramme chiffré prêt à être transmis par radio, en ajoutant des lettres nulles en fin de message pour que le nombre total soit un multiple de 5 : "RSUEM ENZVN GIYIU TEOEO NNCZP" »

7 : Eléments simplifiés à partir de " Les chiffres du S.O.E . (Special Operations Executive, organisation anglaise d'entrainement et de coordination des opérations de résistants dans les pays occupés) " par Pierre Lorain, dans un bulletin spécialisé.

schéma de goniométrie

A la fin de la guerre, pour sécuriser davantage le chiffrement, on utilisait des clés valables pour un seul message (ONE-TIME-PAD). L'opérateur disposait d'une liste de groupes-clés imprimés sur un papier de riz nitraté, qui prend feu instantanément, se dissout dans un liquide chaud et peut s'avaler sans danger. Après usage de la clé pour chiffrer son message la précaution essentielle est de découper la clé à utiliser et à la détruire immédiatement après usage. Ainsi, l'opérateur arrêté ne peut livrer une information qu'il n'a pas dans sa mémoire.

Les antennes adaptées aux fréquences utilisées étaient filaires, horizontales, d'une longueur d'une vingtaine de mètres et situées si possible sur un point élevé. Ceci explique le choix, par exemple, de l'appartement de Mlle Larue au 5ème étage. Elles devaient, pour des raisons de discrétion, donc de sécurité du transmetteur et de son logeur, n'être dépliées qu'au moment de l'émission.

Pour localiser les émetteurs clandestins, les services allemands de la Funkabwehr (Branche radio du contre-espionnage militaire allemand) disposaient à la fois :

camion de goniométrie

Camion de goniométrie

René Loiseau, membre du réseau François-Shelburn, raconte qu'il était un jour à la terrasse d'un café à Paris, avec Raymond Labrosse, lorsque passa un véhicule goniométrique allemand (repérable car portant des antennes sur son toit) ; Labrosse s'écria alors « voilà mes ennemis personnels ! »

2 - Des émissions "en l'air", ou ouvertes, du type radiodiffusion : un puissant émetteur de la B.B.C (British Broadcasting Corporation = Emetteur national anglais) envoie un signal qui peut être capté par un récepteur de radio classique. Cette information est donc unilatérale, en phonie et, apparemment en "clair" ; en effet elle est tout à fait audible, mais se présente sous une forme codée : les correspondants conviennent préalablement - lors de rares contacts directs - d'une série de phrases ayant une signification bien précise.

Les émissions se présentaient classiquement de la manière suivante, ceux qui écoutaient la radio anglaise entendaient, par exemple :

« Pom, pom, pom, pom [qui reprenait les 4 premières notes de la 5ème symphonie de Beethoven, pour symboliser en code Morse la lettre V (pour Victoire) : • • • —]

Ici Londres. Les Français parlent aux Français.

Les sanglots longs des violons de l'automne. Nous répétons : Les sanglots longs des violons de l'automne. »

Message transmis le 4 juin 1944 à 23 heures pour donner aux membres de la Résistance française de procéder au sabotage des installations téléphoniques et ferroviaires en France.

Ce message sera suivi le 5 juin (veille du débarquement allié en Normandie), à 20 heures, de la seconde partie des vers du poète Verlaine : « Bercent mon cœur d'une langueur monotone », qui déclenchait l'action générale des forces de la Résistance.

Dans le cas considéré du réseau d'évasion par voie maritime :

Il n'est donc pas étonnant que les Allemands aient alors : d'une part interdit l'écoute, caractéristique, des émissions anglaises, sous peine de lourdes sanctions et, d'autre part, mis en œuvre de puissants émetteurs de brouillage venant perturber la compréhension locale des messages.


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