Comment ces événements sont-ils demeurés dans la mémoire des évadés et de leurs sauveteurs ?

L'aide aux aviateurs alliés, dont les avions avaient été abattus sur les territoires occupés par les forces allemandes (France, Belgique, Luxembourg), durant le Seconde guerre mondiale, fut un phénomène exceptionnel par sa spontanéité et la prise de risques fous, mais délibérés, par des civils, hommes et femmes. Ceux-ci, initialement inorganisés, mirent au point progressivement, à travers des réseaux tel que "François-Shelburn", une "logistique" performante, indispensable pour mener à bien de telles missions éminemment secretes.

Il n'est donc pas étonnant que cette participation, inattendue compte tenu des conditions d'occupation, se soit gravée dans la mémoire, tant de ceux qui en ont bénéficié, que dans celle des "sauveteurs", et, plus encore, qu'elle reste dans celle de leur famille et de leurs descendants.

On a ainsi vu, après la fin de la guerre, les forces aériennes créer, en leur sein, des associations d'aviateurs évadés grâce à ces aides civiles :

Note 1 : D'après ww2escapelines.co.uk

2 : D'après www.airforceescape.com

Cette mémoire s'est manifestée sous des formes multiples et diverses dont nous pouvons citer :

  1. L'érection de stèles et la pose de plaques commémoratives,
  2. l'invitation de sauveteurs (helpers) par les pays alliés,
  3. la visite en France, Belgique, et Hollande, d'aviateurs évadés avec l'aide des réseaux créés localement, de leur famille, et plus tard de certains de leurs descendants,
  4. des expositions permanentes (musées) ou temporaires.

Il est évidemment impossible de citer tous ces événements d'une manière exhaustive, mais nous en présentons quelques-uns ci-après, dont les plus proches du réseau François-Shelburn.

1 - Stèles et plaques

La ville de Plouha, se trouve, bien sûr, en tête des lieux de mémoire. Les sentiers qui mènent à la célèbre anse Cochat (dite plage Bonaparte, du nom des 5 premières missions secrètes) lieu d'embarquement des aviateurs évadés, sont un site habituel de tourisme. Une vue de la stèle, en granite rouge, figure dans le chapitre "Accueil", et celle d'une plaque dans le chapitre "Aviateurs évadés". Celle-ci a été inaugurée le 23 juin 1946, en présence, outre des membres locaux du réseau et du maire de l'époque, de Paul Campinchi et du docteur André Le Balc'h.

Lettre de François Le Cornec à Paul Campinchi au sujet de la plaque commémorative

lettre de François Le Cornec
lettre de François Le Cornec

Plage de Plouha - 23 juin 1946
de droite à gauche au 1er plan : Dr André Le Balc'h -
François Le Pulluard, maire de Plouha - Paul Campinchi3

Plage de Plouha - 23 juin 1946

3 : C'est au cours de cette inauguration que P. Campinchi prononça le discours, dont des extraits sont cités dans le chapitre "Reconstitution chronologique".

8 ans après, une autre commémoration a eu lieu à Plouha.

Cimetière de Plouha - 9 octobre 1954

Cimetière de Plouha - 9 octobre 1954

Pour commémorer l'aide que des habitants des pays envahis ont, courageusement, apportée aux aviateurs alliés, après le crash de leur avion abattu par les forces allemandes, Elizabeth Harrison - secrétaire générale de la Royal Air Forces Escaping Society (cité supra) - a dessiné, et sculpté, une plaque4 en bronze présentant un aviateur soutenu par deux sauveteurs : une jeune fille et un homme plus âgé, tandis qu'en arrière-plan, un autre aviateur descend à proximité en parachute.

Plaque en bronze, oeuvre d'Elizabeth Harrison

Plaque en bronze, oeuvre d'Elizabeth Harrison

Au bas de cette plaque figure le texte suivant :

« ON THE 21ST JUNE 1981 THIS PLAQUE WAS DEDICATED TO THE COUNTLESS BRAVE MEN AND WOMEN OF ENEMY OCCUPIED COUNTRIES WHO, DURING WORLD WAR TWO (1939-45) WITHOUT THOUGHT OF DANGER TO THEMSELVES, HELPED 2803 AIRCREW OF THE ROYAL AIR FORCE AND COMMONWEALTH AIR FORCES TO ESCAPE AND RETURN TO THIS COUNTRY AND SO CONTINUE THE STRUGGLE FOR FREEDOM.  MANY PAID WITH THEIR LIVES, MANY MORE ENDURED THE DEGRADATION OF CONCENTRATION CAMPS.  THEIR NAMES ARE REMEMBERED IN EQUAL HONOUR WITH THOSE WHO WERE  SPARED TO FIGHT A LONGER BATTLE.  TO MARK ITS DEBT OF GRATITUDE THE ROYAL AIR FORCES ESCAPING SOCIETY ERECTED THIS MEMORIAL AS A LASTING TRIBUTE AND ALSO TO SERVE AS AN INSPIRATION TO FUTURE GENERATIONS5. »

Traduction

« Le 21 juin 1981, cette plaque a été dédiée aux innombrables braves hommes et femmes qui, durant le 2ème Guerre mondiale (1939-1945), sans penser à leur propre danger, ont aidé les 2803 membres d'équipages des Royal Air Forces et du Commonwealth Air Forces à s'échapper et à revenir dans notre pays, et à continuer ainsi la lutte pour la liberté. Beaucoup le payèrent de leur vie, davantage ont enduré la dégradation des camps de concentration. Nous nous souviendrons de leur nom, aussi bien que celui de ceux qui ont été épargnés pour livrer une plus longue bataille. Pour marquer sa dette de gratitude, l'Air Forces Escaping Society a érigé ce mémorial, comme un hommage durable, et aussi pour servir d'exemple aux futures générations. »

4 : L'original est fixé dans la chapelle de la crypte de la Royal Air Forces, dans l'église St Clément Danes à Londres. Des moulages complémentaires ont été déposés : dans des musées anglais, à Paris au musée de l'Armée aux Invalides, au Canada, en Australie, et en Belgique.

5 : Texte indiqué par le site : www.rafinfo.org.uk/rafescape/rafes_plaque.html

2 - Invitation de sauveteurs par nos Alliés

A peine l'AFEES créée, Ralph Patton et deux de ses adjoints organisèrent, à Buffalo, dans l'état de New-York, les 15 et 16 mai 1964, la première des réunions qui allaient, par la suite, se dérouler. 56 personnes participérent dont 32 aviateurs évadés, 7 sauveteurs et 1 Canadien.

Un document de presse rapporte un discours qui y fut prononcé6.

Traduction :

« Nous nous sommes rassemblés à Buffalo pour payer un tribut à ce vaillant réseau secret, qui a été responsable du "Miracle de Shelburn". Des rapports montrent que "l'Opération Bonaparte" réalisa l'évasion de 135 aviateurs alliés, depuis les territoires de France occupés par les Allemands.

Shelburn n'a pas été très bien pris en compte par les statisticiens. Il n'a pas, non plus, constitué un point crucial pour les tacticiens militaires. Cela fut pourtant une preuve éclatante des limites absolues du courage de l'Homme, de l'ardeur à jouer de sa propre vie et de celle des personnes qui lui sont chères afin de sauver des étrangers qui croient dans les mêmes idéaux de liberté et de dignité.

Ce furent des exploits d'audace calculés, des paris intrépides, exécutés sous les multiples yeux des forces allemandes d'occupation. De jour comme de nuit, des hommes, des femmes, et mêmes des enfants, étaient prêts à donner leur vie pour réussir des évasions exceptionnelles, un par un, ou par groupes, d'aviateurs alliés. Beaucoup de ceux qu'ils aidaient, blessés ou ayant subi un choc traumatique, étaient particulièrement difficiles à prendre en compte.

Les chances de succès étaient incroyablement faibles. Toute faute entraînait des punitions extrêmes. Risquer sa propre vie n'est presque rien, comparé au risque de perdre celle de sa sœur, fille, mère, et celle de tous les membres du groupe.

Nous, Américains, ne pourrons jamais rembourser ces nobles personnes. Rien ne pourra jamais équilibrer la balance, et rien ne pourra jamais effacer la gloire. En grande humilité nous disons donc : "Nous n'oublierons jamais. Dieu vous bénisse". »

En 1974, Une célébration eut lieu à Détroit, Washington et la ville de New-York, avec des représentants de sauveteurs de Belgique, France, Hollande, Italie et Norvège. En 1982, 28 sauveteurs furent présents à Cincinnati...

L'association de l'AFEES et de la Royal Air Forces Escaping Society of Canada permit l'organisation à Toronto au Canada, en 1995, d'un mémorable événement.

6 : Extrait d'une publication journalistique américaine, en langue anglaise, non identifiée. (arch.P.Camp.)

3 - Visites en France d'aviateurs évadés et de leur famille

Là encore nous pouvons citer7 Plouha, où vient d'avoir lieu, le 23 avril 2013 - un peu plus de 69 ans après les événements - la très récente rencontre d'une longue liste : la visite de Madame Faye O. Blye, âgée de 90 ans, veuve de Kenneth O.Blye, aviateur américain.

Celui-ci, dont l'avion a été abattu le 5 janvier 1944 au dessus de Kergrist-Moëlou8, dans les Côtes d'Armor, a été recueilli et hébergé pendant 10 jours par la famille Le Tannou - dont le fils Robert, jeune à l'époque, mais qui se souvient encore des faits, participe à la réunion - avant d'être confié au réseau Shelburn et embarqué le 27 février sur un bateau de la Royal Navy.

Des échanges de courrier de Robert Le Tannou avec Mme Blye ont convaincue celle-ci, malgré ses 90 ans, de faire le voyage avec son fils et sa belle fille ; reçue et décorée de la médaille de la ville par Mr Philippe Delsol, son maire, elle a pu rencontrer des "anciennes" du réseau : Marie Gicquel, Anne Rospers et Marguerite Pierre.

7 : D'après un article paru dans "La Presse d'Armor", le 1er mai 2013.

8 : C'est, à notre connaissance, l'un des rares avions tombés aussi près de la zone d'embarquement de Plouha ; la plus grande part des aviateurs ainsi exfiltrés venaient du nord de la France.

Parmi les aviateurs évadés nous avons déjà cité l'équipage de Robert O.Lorenzi, pilote du B-17 abattu au-dessus du village de Le Cardonnois, près de Montdidier, dans la Somme. Dominique Lecomte, dont les arrière-grands-parents avaient caché et soigné R.Lorenzi dans leur ferme, a concrétisé son "devoir de mémoire" dans la brochure9 "Tail end Charlie" et organisé le 28 mai 2011, avec la municipalité de Le Cardonnois, une cérémonie officielle pour laquelle s'étaient déplacés, outre des autorités militaires américaines et françaises, 21 membres de famille d'aviateurs (parmi lesquelles : Mme Rosenthal, dont le mari avait été mortellement blessé lors du combat aérien, et Mme Lorenzi, veuve du pilote, décédé en 2007).

9 : (Op.cit.)

Pour reconstituer au mieux ces événements malconnus et en conserver la mémoire, a aussi été créée en Picardie (départements de l'Aisne, de l'Oise et de la Somme) l'ASAA10 (Association des Sauveteurs d'Aviateurs Alliés) - qui poursuit ses recherches sur la localisation des points de chute exacts des avions, puis sur les familles locales qui ont aidé les aviateurs, puis sur celles des membres d'équipage dans pays leur pays d'origine11. La toute dernière cérémonie vient d'avoir lieu, en mai 2013, successivement dans 3 communes voisines de l'Oise : Domeliers, Crevecoeur-le-Grand et Catheux. Deux avions B17, du même "Bomb Group", tombèrent le même jour (8 février 1944) sur Catheux ; parmi les membres restés vivants des deux équipages, 2 furent faits prisonniers et les sauveteurs locaux prirent immédiatement en charge les 13 rescapés, avant de les confier à des structures d'évasion (dont 9 au réseau Shelburn).

Sont venus des Etats-Unis, pour cette cérémonie, les deux fils de Milton Schevchik, pilote de l'un des avions (qui effectuait en février 1944 sa 16ème mission de bombardement12). C'est grâce à l'ASAA qu'ils ont eu connaissance de ces faits et pu rencontrer les descendants des familles de leurs sauveteurs :

« [...] jamais leur père ne leur en avait parlé. [Ils] ne s'attendaient pas à un tel accueil, tout au long de [leur] séjour chez nous. Ils ont été stupéfaits et enchantés que la France n'oublie pas ces aviateurs alliés qui tombaient du ciel pour notre Liberté. »

Pour 2014, 70 ans après les embarquements à Plouha, l'ASAA prépare déjà le programme des visites ; c'est dire que le devoir de mémoire continue toujours aussi activement. La réussite étant, en particulier, de :

« [...] mettre en contact ces femmes, ces frères et soeurs et ces enfants d'aviateurs dont les pères étaient liés à un sort commun, souvent tragique, lorsqu'ils étaient en mission [...] Toutes ces rencontres avec les familles forgent de solides liens d'amitiés, et pour la vie. Nous sommes une même famille maintenant. »

10 : Des associations similaires existent toujours, avec des objectifs identiques, en Bretagne (ABSA) et en Normandie (ANSA).

11 : Courrier (dont les 2 citations) du 27 juillet 2013 de Dominique Lecomte, assorti de copies de parutions dans les journaux locaux (op.cit.).

12 : Douglas et Robert Schevchik ont pu rencontrer dans la région parisienne René Loiseau, témoin direct du sauvetage de leur père ; il se souvenait très bien de lui et s'esclama :"Un crack qu'il fallait rapatrier en urgence!".

4 - Expositions temporaires ou permanentes (musées)

La mairie de Plouha a recueilli et conservé un certain nombre d'objets et de documents qui lui permettent, avec quelques souvenirs personnels complémentaires, de réaliser des expositions temporaires. Ce fut le cas récemment, avec beaucoup de succès, en juillet et août 2012.

Exposition Plouha 2012

Exposition Plouha 2012  Exposition Plouha 2012

« Le Musée maritime de Carantec, dans le Finistère Nord, entre Morlaix et Roscoff, installé au centre du village, et géré par une association, perpétue le souvenir notamment des évasions par mer [par bateaux civils] pendant la Seconde guerre mondiale, à partir de cette commune et de celle limitrophe d'Henvic. De 1940 à 1944, 19 bateaux partis de ces 2 communes ont en effet réalisé 22 évasions par mer à destination de Jersey et de l'Angleterre, dont, à travers le réseau d'Ernest SIBIRIL8, 4 aviateurs américains et 2 aviateurs britanniques9. »

Drapeau anglais (Union Jack)donné en remerciement
par Reginald Smith à Mme Sibiril, à son départ en février 1943.
(Musée de Carantec)

Drapeau anglais (Union Jack)

8 : Ce réseau n'avait pas de relations structurelles avec Shelburn, mais parmi les 2 aviateurs britanniques cités, figurait Reginald Smith, parti de Carantec le 5 février 1943 - par le bateau de pêche l'Yvonne - qui se fit le porte parole de Paul Campinchi (celui-ci l'avait hébergé à Paris et son épouse l'avait convoyé vers la Bretagne) auprès du colonel Lengley du MI9 ; ce contact fut la vérirable amorce de la création du réseau François.

9 : Courrier de Pascal Messager à Daniel Droniou.

5 - Souvenirs envers P. Campinchi à titre personnel

Certains événements, extérieurs ou familiaux, ont donné lieu à une mémoire particulière envers Paul Campinchi10, en souvenir de cette vie secrète, volontairement adoptée pour créer et animer le réseau "François-Shelburn", et mener à bien la tâche acceptée - sans qu'il en tire gloire - de tout faire pour que repartent au plus vite en Angleterre les aviateurs immobilisés en France occupée.

Invitation pour la visite de la reine d'Angleterre à Paris en 1957

Invitation pour la visite de la reine d'Angleterre à Paris en 1957

Lettre de condoléances d'Elizabeth Harrison (RAFES) pour le décès de Thérèse Campinchi, épouse de Paul, en 1985.

Lettre de condoléance d'Elizabeth Harrison (RAFES)

Lettre de condoléances de Ralph Patton (AFEES) pour le décès de Thérèse Campinchi.

Lettre de condoléance de Ralph Patton (AFEES)

Hommage de ses amis de la Résistance au décès de Paul Campinchi, en 2003.

Nécrologie au décès de Paul Campinchi en 2003.

10 : 4 documents (arch.P.Camp.)

Pour clore ce document en mémoire de tous ceux qui ont oeuvré au sein du réseau "François-Shelburn", nous citerons un passage d'une note du général Dwight D. Eisenhower11 :

« The loss of every Allied plane that was shot down over Europe was a tragedy - every member of a crew that was found and saved and sent back to us throughout "Operation Bonaparte" brought joy to all his comrades. To every Frenchman who joined in this great work and to each member of his family and to all who shared, in those days, the risks and dangers I send insurances of my deep and lasting gratitude12. »

Traduction : La perte de tout avion allié abattu au-dessus de l'Europe était une tragédie - chaque membre d'équipage qui était trouvé, sauvé et rapatrié chez nous à travers l'Opération Bonaparte ramenait la joie parmi ses camarades. A chacun des Français qui se sont joints à cette grande tâche, et à chacun des membres de sa famille, et à tous ceux qui ont partagé, en ces temps là, ses risques et ses dangers, j'envoie l'assurance de ma profonde et durable gratitude.

11 : Général d'Armée - Commandant en chef des forces Alliées sur le théatre militaire européen en 1944 ; devenu plus tard Président de la République des Etats Unis, dans deux mandats successifs, de 1952 à 1960.

12 : (arch.P.Camp.)


retour en haut de la page