Liquidation du réseau

Sitôt Paris libéré, P. Campinchi est réintégré, en septembre 1944, dans sa fonction à la Préfecture de Police de Paris, d'où il avait été radié1 pour absence lorsque l'Abwehr et la Gestapo étaient à sa recherche. Cinquante ans après, en 1996, il n'a pas conservé de cette période le meilleur des souvenirs :

« Aprés la Libération, fatigué, et un peu aigri, je me suis désintéressé de tout. Mais la D.G.E.R2. m'a mis en demeure de "liquider" le réseau qui n'avait pas de nom. Mis en présence des documents déjà établis, je constatais que le tout était, soit sous la rubrique "François", un de mes pseudonymes, soit "Campinchi" pour ceux qui m'avaient déjà identifié à Paris.

Je n'ai pas voulu faire, comme mon ami, le docteur Guérisse, dit Pat O'Leary, qui avait, sous son nom, liquidé le réseau. J'ai pensé que Shelburn, nom du second parachutage, faisait plus pittoresque et devait être agréable à mes amis Britanniques.

Cette dernière impulsion m'a valu, plus tard, bien des désagréments3. »

1 : Lettre de demande de réintégration du 31 août 1944 à son directeur. (Arch.P.Camp.)

2 : Direction Générale des Etudes et Recherches, organe de renseignement et d'action créé en 1944, rattaché au Bureau Central de Renseignement et d'Action (B.C.R.A.) dont le chef a, depuis sa création en 1940, été André Dewavrin (colonel Passy). Cet organisme est devenu ensuite le SDECE puis la DGSE.

3 : Lettre à Mélanie Helleguin (arch.P.Camp.).

1 - Idée d'une structure de Liquidation militaro-administrative des réseaux

En effet, après la libération de Paris et d'une majeure partie de la France en août 1944, le Gouvernement Provisoire de la République Française - créé dès le 3 juin 1944 et qui durera jusqu'au 27 octobre 1946 (suite au référendum constitutionnel du 21 octobre 1946, la Constitution de la Quatrième République sera promulguée le 27 octobre de la même année) - juge nécessaire de règler, au plus vite, le regroupement des divers organismes de résistance qui ont coopéré avec les Forces alliées et les Forces Françaises Libres à la libération de la France.

Les éléments armés seront incorporés à l'armée réguliére et combattront jusqu'à la fin de la guerre en mai 1945.

Pour les organismes de renseignement et d'évasion d'aviateurs - comme "François-Shelburn", en particulier, qui n'avait évidemment plus raison d'exister - fut prise la décision de régulariser leur situation vis à vis du gouvernement français, action qui a porté le terme de "liquidation".

Cette "Liquidation" avait pour objectifs principaux

1- Dans une premiére phase, d'homologuer les divers réseaux ayant pris une part effective dans la Résistance, dans le cadre des « Unités Combattantes de la Résistance »

2- Dans une seconde, de s'occuper des membres de ces réseaux pour :

Finalement, devant cette ouverture de reconnaissance officielle des actions clandestines qu'est la "Liquidation", Paul Campinchi, au lieu de décrocher de ses responsabilités "post-Shelburn", prend conscience de l'intérêt pour les membres de son réseau de faire homologuer leur participation clandestine ; il y consacrera toute son énergie et son dévouement pendant de longues années.

En particulier est créée, le 14 mars 1946, sous sa présidence, une Amicale du Réseau SHELBURN4, dont le bureau regroupe certains de ses adjoints du réseau.

4 : (arch.P.Camp.)

déclaration d'association

Déclaration de constitution
de l'Amicale du Réseau François-Shelburn


Par ailleurs P. Campinchi participe à de nombreuses associations de résistants :

2 - Mise en place des structures

Lorsque s'ouvre officiellement la "Liquidation", la conduite de la double investigation, particulièrement complexe, sur les réseaux, puis sur leurs agents5, semble ne pas avoir figuré explicitement dans les règlements militaires antérieurs ; on trouve en effet de nombreux décrets successifs sur cette question entre 1944 et, au moins, 19626.

5 : Il convenait en particulier de ne pas entériner sans examen les actions de "résistants de la dernière heure", cherchant éventuellement à se démarquer d'une période de collaboration.

6 : Décrets du 9 juin 1944, 8 février 1950 J.O. N° 1552 (op.cit.), decret 62-308 du 6 mars 1962 J.O. N° 3054 (op.cit.)

Un cadre règlementaire va donc devoir être mis progressivement en place, sous l'égide du Ministère de la Guerre.2

Le 27 mars 1946, par décision ministérielle du Ministre des Armées

« Sont créées :7

Sont désignés :

7 : (arch.P.Camp.)

8 : A laquelle sont rattachés les réseaux d'évasion tels que "François- Shelburn".

décision du 27 mars 1946

Décision ministérielle du 27 mars 19469

Convocation personnelle du 12/09/1946

Convocation personnelle
du 12/09/19469

L'autorité que Paul Campinchi avait acquise sur le terrain en tant que chef de réseau, et sa représentativité associative parmi ses pairs, conduisent l'Administration militaire en charge de la "Liquidation" à lui confier, au cours de toute cette période, de nombreuses responsabilités au sein des instances officielles :

Nomination dans la commission

Décision ministérielle de nomination dans la commission9

Convocation personnelle

Convocation personnelle du 9 mai 19579


9 : (arch.P.Camp.)

D'une copie de note10, hélas non datée, à un destinataire non identifié11, il ressort que les travaux d'homologation d'actes de résistance étaient quelquefois loin d'être sereins. Leur caractère confidentiel évident fait que seuls peuvent en être extraits des éléments banalisés :

« Cette Commission [Commission Nationale d'Homologation F.F.C.], qui a procédé à toute la liquidation, qui a constitué et possède les archives des Forces Françaises Combattantes, tant pour ce qui concerne les organisations que les individus, s'est fait une règle de ne jamais trahir les secrets dont elle est dépositaire. Sa discrétion dans ce domaine est absolue et, bien que prise entre les F.F.C. et les Pouvoirs Publics (vis à vis desquels sa position est souvent intransigeante), ses décisions et ses avis n'ont jamais été publiés ni révélés par ses membres [...] »

On y relève, aussi, relativement à la charge assumée par les membres des commissions :

« A ce sujet, il est bon de rappeler que (quelles [sic] que soient le nombre de commissions et de séances auxquelles assistent les délégués F.F.C.), ils ne touchent aucune sorte d'indemnité et que le temps nécessaire est pris sur leur travail ou leurs loisirs. »

10 : (arch.P.Camp).

11 : Le classement des pièces fait penser qu'il pourrait s'agir d'un document destiné au Ministre de la Défense - Secrétariat d'Etat chargé des Anciens Combattants.

3 - Critères d'homologation

Homologation des membres des réseaux : le Bulletin Officiel du Ministère de la Guerre n° 328-312 précise les critères retenus :

« Seront considérés comme combattants [...] les agents de la Résistance intérieure française [...] ayant appartenu pendant 3 mois, consécutifs ou non13, aux formations figurant sur les listes des unités combattantes ou assimilées. [...]

Les reconnaissances de ces formations seront publiées [...] sur proposition d'une commission spéciale [...] composée de :

[...] désignés par décision interministérielle sur proposition des commissions nationales intéressées [...] »

12: (Op.cit.)

13 : Les archives de P. Campinchi possèdent également une copie du projet de la « PROPOSITION DE LOI RELATIVE au STATUT et aux DROITS des COMBATTANTS VOLONTAIRES DE LA RESISTANCE » On y relève en particulier : « ARTICLE 2 : la qualité de combattant volontaire de le résistance est susceptible d'être reconnue à toute personne qui : 1°) a appartenu pendant trois mois au moins avant le 6 juin 1944 dans une zone occupée par l'ennemi. Ce dernier critère n'a donc pas été retenu dans la version finale. » Le même document mentionne : « [...] Les conditions du délai nécessaire ci-dessus ne sont pas toutefois imposées aux membres de la résistance, et aux personnes, qui, pour actes qualifiés de résistance auront été exécutées, tuées ou blessées dans des conditions ouvrant droit à pension, en vertu de l'ordonnance 45-3222 du 5 mars 1945, ou qui remplissent les conditions prévues par la loi 48.251 du 6 août 1948 établissant le statut définitif des déportés et internés de la résistance.»

14 : Forces Françaises Combattantes (dont François-Shelburn).

15 : Forces Françaises de l'Intérieur.

16 : Résistance Intérieure Française.

Conditions générales

Les commissions dépendant du Ministère de la Guerre, ou de celui des Anciens Combattants, avaient pour objectif d'assimiler les résistants - lorsqu'ils étaient civils - à leur équivalent militaire.

« Journal officiel - 3 février 1950 n° 155117 - Titre IV - Intégration dans l'armée active ou des réserves des membres des FFI et FFC.

Il est rappelé que l'homologation des grades d'assimilation FFI ou FFC a eu pour effet d'authentifier les services rendus et les commandements exercés au cours des combats pour la Libération, elle ne confère aucun droit au statut d'officier, soit dans l'active, soit dans la réserve.[...] »

Pour les résistants-non-armés, tels que ceux des réseaux d'évasion, il ne pouvait évidemment pas être fait référence à des combats, il a donc été mis en place une classification spécifique :

« L'appellation réseau est une expression de circonstance qui a été adoptée quand il s'est agi de recenser les divers services spéciaux ayant fonctionné durant la guerre.18 »

« La structure interne du monde des réseaux liquidés plus tard sous le nom de Forces Françaises Combattantes, est la suivante19 :

17 : (op.cit.)

18 : Extraits de « Esquisse d'une présentation des FORCES FRANCAISES COMBATTANTES - RESEAUX » - Document dactylographié - P. Campinchi. - 16.10.1962, qui traite d'un cas général, derrière lequel se cache évidemment le réseau qu'il avait créé et animé

19 : Extrait d'un document de Paul François Campinchi, non publié : « Qu'est-ce que la Résistance ? »

Les agents P. 2 : ce sont des agents secrets, entièrement sous statut militaire, engagés au moins pour la durée de la guerre, plus trois mois, ou considérés comme tel. Aucune considération familiale ou sociale ne peut entrer en ligne de compte devant la mission à accomplir. Il sont, de jour et de nuit, et en tous lieux, à la disposition de leur chef. Totalement militarisés, ils assurent le commandement du réseau. Tout ce monde étant considéré comme "officiers en mission", il paraît bon d'en tracer la liste hiérarchique :

A la tête, comme chefs nationaux, les chefs de mission de 1ère Classe, équivalent au grade de lieutenant-colonel,

puis, chargés de mission de :

Les agents P.1 : ils font partie du réseau et ils le savent. Suivant leurs capacités ou leur profession, on peut plus ou moins souvent faire appel à eux. Ce sont les plus nombreux ; ils ne sont souvent qu'une source de renseignements en raison de leur fonction ou de leur situation sociale, de ceux qu'en temps de paix les services secrets appellent les "honorables correspondants", (H.C.). Ils continuent d'exercer leur profession et vivent au sein de leur famille. En principe on ne peut leur donner un ordre qu'ils répugnent à exécuter, le lien qui les attache au réseau étant surtout moral. En réalité, ils constituèrent "l'infanterie" des réseaux ; bien peu abandonnèrent. Les pertes parmi eux furent lourdes et cruelles car, souvent sédentaires, ils ne purent échapper aux services de l'Abwehr20, la Gestapo21 ou la Milice22.

Les agents O : ce sont les "occasionnels". Ceux à qui un jour on a demandé un service sans leur cacher le risque. Ceux qui, ayant donné leur adhésion, ne furent que rarement utilisés en raison des circonstances. Leur mérite n'en est pas moindre car les déportations et les exécutions n'étaient que la sanction d'un acte qui avait été découvert. Un geste hostile aux Allemands mettait pour toujours son auteur en grand danger. En réalité bien des agents O payèrent de leur vie un acte occasionnel. »

20 : Renseignement militaire de l'armée allemande.

21 : Geheime Staatspolizei : police secrète d'Etat.

22 : Organisation politique et paramilitaire francaise, créée en 1943 par le gouvernement de Vichy, pour lutter contre les terroristes (nom que celui-ci donnait aux résistants).

4 - Mise en application

La structure administrative (Commissions d'Homologation) étant en place, et les critères déterminés, il était du ressort du "Liquidateur" de réunir un dossier ad hoc pour chacun des agents considérés, et, dans les délais impartis, de :

puis de soumettre à la Commission les dossiers individuels correspondants.

4.1 Homologation des réseaux

Nous ne disposons pas de documents relatifs au travail des commissions sur cette partie. Leurs conclusions sont regroupées dans le « Bulletin Officiel du Ministère de la Guerre n° 328-3 : UNITES COMBATTANTES DE LA RESISTANCE23 », qui donne, pages 16/18 :

23 : (op.cit.)

Homologation du réseau Shelburn

Homologation du réseau Shelburn


Le réseau Shelburn est considéré comme ayant été créé le 1er mars 1943 et ayant cessé ses activités en fin septembre 1944.

Il convient de remarquer ici qu'il s'agit du réseau "François-Shelburn" tel que le présente P. Campinchi dans ses divers documents, qui couvre toute cette période (dont la "mission Oaktree") et non la seule "mission Shelburn" telle que vue du côté anglo-saxon.

4.2 Homologation des membres des réseaux

Aux fins d'homologation de leurs actions dans le cadre de la Résistance, les intéressés durent donc fournir à la Commission nationale un dossier comportant :

Paul Campinchi, lui même, à partir de son propre dossier, s'est vu décerner, au moment de l'homologation du réseau François-Shelburn, une attestation de "Chef de Mission de 1ère classe", rétroactive pour toute la période d'existence de celui-ci, du 1er mars 1943 au 30 novembre 1944, niveau équivalent au grade militaire de lieutenant-colonel.

Attestation de services pour P. Campinchi

Attestation de services pour P. Campinchi


4.2.1 Extension de responsabilités

Dans un premier temps P. Campinchi s'est chargé de la totalité de son propre réseau "François - SHELBURN", puis le Ministère de la Guerre lui a affecté le traitement des membres des réseaux "Alsace", "Possum", "Vaudevire" et "Vaneau". Ces réseaux recueillaient les aviateurs et les confiaient à des réseaux structurés pour prendre en charge leur évacuation.

Stèle de Plouha

Stèle de Plouha :
liste des réseaux ayant
participé au recueil
et à l'évasion
d'aviateurs par Plouha.

"Alsace24", "Possum" et "Vaudevire" figurent nommément sur la stèle commémorative de Plouha, avec le réseau François, qui incluait, lui, la structure d'exfliltration par la Royal Navy.

24 : Alsace, plutôt un groupe qu'un véritable réseau - tel que le définissait P. Campinchi (voir note 25) - a été créé dans l'Oise par Gilbert Thibault. Celui-ci, huissier à Auneuil, a joué dans ce département un grand rôle dans l'aide apportée aux aviateurs. Tombé dans une embuscade de la Gestapo à Paris en février 1944, blessé à une main par le tir d'un Allemand, il parvint miraculeusement à se sauver. Dominique Lecomte signale que le compte rendu d'interrogatoire d'un aviateur cite, postérieurement à cette date, un sauveteur blessé à la main, qui pourrait être lui. Henri Maigret, son adjoint dans le groupe, a relaté les actions du groupe Alsace dans son livre "Un réseau d'évasion dans l'Oise à Auneuil" (op.cit.).

Le cas du groupe25 "Vaneau"26 est un peu plus complexe : lors de la mission Oaktree, début avril 1943, ce groupe (dont l'animatrice, Elisabeth Barbier-Campbell, avait travaillé avec le réseau Comète) coopéra avec l'équipe Val Williams. Diverses circonstances27 rendirent infructueuse la mission Oaktree d'évasion par mer ; l'exfiltration des aviateurs recueillis dans ce cadre se faisant alors par les Pyrénées et l'Espagne. Suite à des infiltrations d'agents ennemis, le groupe fut pratiquement démantelé par la police allemande. Elisabeth Barbier- Campbell elle-même, étant arrêtée - ainsi que sa mère - en juin 1943, toutes deux emprisonnées à Fresnes puis, en janvier 1944, déportées au camp de Ravensbrück d'où elles revinrent en avril 1945. Val Williams, comme on l'a vu, réussit à s'évader, et fut ramené en Angleterre par l'une des premières opérations navales à Plouha. P. Campinchi parvint à conserver intacte son "Organisation François", lui-même échappant à une recherche de l'Abwehr.

25 : C'est ainsi que le désigne P. Campinchi. Pour lui en effet « l'appellation "réseau" est une expression de circonstance, qui a été adoptée quand il s'est agi de recenser les agents des divers services spéciaux ayant fonctionné pendant la guerre. Un réseau d'évasion ne porte ce nom que s'il inclut durablement les divers services indispensables : Dépistage, Sécurité, Convoiement, Faux papiers Hébergement, Embarquement; » (in : Projet de présentation des forces Française Combattantes - arch. P.Camp.).

26 : Il semble que ce nom ne lui fut donné qu'au moment de la liquidation, du nom de la rue de Paris, où, au n° 72, habitait son chef : Elisabeth Barbier.

27 : Pour plus de détails consulter « Par les nuits les plus longues », de Roger Huguen, (op.cit.) pages 250 à 277.

En juillet 1943, Oaktree fâcheusement terminée, sans aide immédiate des Alliés, P. Campinchi mit à profit les dysfonctionnements observés pendant cette phase, pour constituer un véritable réseau, très structuré, avec des groupes spécialisés dans les diverses tâches et un cloisonnement extrêmement rigoureux, qui fonctionnait au mieux lors de l'arrivée en France, début novembre 1943, de Lucien Dumais et Raymond Labrosse, agents de la mission Shelburn. De nombreux rescapés de "Vaneau" - par exemple Marie Wiame - furent alors, efficacement, intégrés. Cette double appartenance successive complique un peu le recensement des résistants ; bien que la liquidation du groupe Vaneau ait été chronologiquement entreprise après celle de François-Shelburn, il paraît opportun de la traiter la première.

4.2.2 Homologation des membres du groupe Vaneau

Dans les archives de P. Campinchi figurent :

5 fiches de tableaux nominatifs28 relatifs à 48 personnes :

et quelques attestations individuelles.

Extrait de la liste d'agents du groupe Vaneau - Montage à partir de 2 fiches

liste groupe Vaneau

On remarque sur ce document :

28 : Le regroupement des membres du réseau Vaneau figure en annexe d'une lettre de Jean ALBERT-SOREL du 30 novembre 1949 (arch.F.Camp.).

29 : On pourrait, dans ce regroupement auprès du "Liquidateur", voir une certaine analogie avec la reconstitution de fin de carrière, au moment de son départ en retraite, d'une personne ayant travaillé dans des entreprises ayant éventuellement disparu : le dossier est alors pris en compte par la dernière caisse de retraite.

4.2.3 Homologation des membres du réseau François-Shelburn

Pour constituer les dossiers des membres de son propre réseau, P. Campinchi a utilisé les imprimés de l'Amicale du Réseau François-Shelburn, qu'il remplissait à partir de notes communiquées par ses subordonnés, relativement aux personnes du groupe qu'ils animaient, soit directement pour ses adjoints eux-mêmes.

Fiche élaborée par un subordonné

Fiche élaborée par un subordonné

Type de fiche élaborée par P. Campinchi

Type de fiche élaborée par P. Campinchi

Un regroupement de ces enquêtes individuelles30 figure aux Archives nationales - CARAN - sur la pièce 7 : Evasion SHELBURN-FRANCOIS, liste des membres du réseau - Service de sécurité - 2 octobre 1944 - du dossier cote 72AJ/80/VIII (op.cit). Elle porte exclusivement sur des agents identifiés31, dont certains ont été présentés dans le chapitre "Vie du réseau".

30 : Ce document indique, pour certains des membres, des qualifications P2, P1, P0. Or à l'époque les Commissions d'homologation n'avaient pas encore commencé leur travail. Il est donc possible que - en parallèle avec les dénominations hiérarchiques classiques telles que chef de réseau et chef d'équipe - un travail de hiérachisation pseudo-militaire des responsabilités ait déjà été effectué au sein des groupes, qui aurait été repris ensuite par les Commissions. En particulier la dénomination "P0", qui y figure, a été ensuite remplacée par "O", pour "Occasionnels", comme on le verra ci-après.

31 : On note pour les agents une très grande variété des professions : médecins, infimières, universitaires et enseignants (souvent d'anglais), commerçants, marins de la marine marchande, huissier, quelques militaires et gendarmes, économes de lycée, industriels, employés, agents des chemins de fer ...

Ces éléments, de type individuel, sont complétés, dans les archives de P. Campinchi, par des listes récapitulatives des membres du réseau "François-Shelburn". Classement alphabétique nominatif, prénoms et quelquefois adresse :

Cahier vert : 300 personnes (incluant celles du groupe Vaneau), réparties en 3 groupes :

Extrait : liste des membres du réseau décédés

membres décédés

4.2.4 Homologation des agents isolés

Le même type de liste nominative figure également, relative aux agents "isolés";

Cahier rose32 : 409 personnes réparties en 4 groupes :

Les adresses disponibles situent ces personnes très majoritairement dans les départements du Nord, Pas de Calais, Oise, Moselle, Meurthe et Moselle, Finistère, Côtes du Nord et Vendée, zone évidente de survol ou d'action des avions alliés.

Extrait : liste de membres isolés, déportés rapatriés (P2 par arrestation) rattachés au réseau "Shelburn")

liste membres isolés et déportés

Aucune donnée administrative relative à la définition "Classés P2 par arrestation" n'a été trouvée dans un document officiel. La seule information disponible figure dans une lettre33 transmise à un adhérent, signée René Loiseau (alors secrétaire administratif de la Fédération des Amicales de Réseaux de la France Combattante), qui y indique :  « Ainsi que vous avez pu l'apprendre, la liquidation des agents Isolés d'évasion a été confiée au réseau François-Shelburn, qui n'a pu les considérer comme P2 que du jour de leur arrestation. En effet, un agent isolé est en principe une personne n'ayant pas de contrat permanent et n'appartenant pas d'une façon continue à un réseau. » En d'autre termes un agent isolé accède à la classification P2 s'il a été interné pendant plus de 3 mois, déporté-rapatrié ou décédé (comme le montrent certaines des pages du cahier cité). 

Il convient, cependant, de citer - qui s'en rapproche beaucoup - l'application de l'arrêté34 du 12 février 1947 du Ministère de la Guerre, à 7 agents35 du Réseau Shelburn décédés en camp de déportation qui entraîne leur homologation d'officiers (sous-lieutenant) à titre posthume.

32 : Comme le précédent, ce cahier n'est pas daté, mais la présence sur la liste de déportés rapatriés le situe postérieurement à mi-août 1945.

33 : (arch. F.Camp)

34 : (archives nationales - CARAN - 72AJ/80/VIII/pièce 8 - op.cit.)

35 : Parmi eux figure Armand Zerling, père de Marie-Rose (Claudette,) tous deux cités au chapitre "La vie du réseau".

Le terme d'isolés, introduit ici, paraît voisin de celui d'occasionnel, sans y être cependant identique :

Le travail de la Commission d'homologation, et du "Liquidateur" en particulier, relativement aux isolés, s'avérait plus complexe que celui des membres d'un réseau, du fait même qu'ils n'entraient dans aucune structure hiérarchisée permettant de valider les actes d'aide à l'évasion. C'est donc plus tardivement que les Ministères de la Guerre et celui des Anciens combattants ont confié cette tâche à P. Campinchi, en rattachant les isolés, artificiellement, au réseau François-Shelburn.

Les personnes intéressées elles-mêmes, sorties des prisons allemandes, ou rapatriées des camps, ou leur famille en cas de décès, devaient être à même de justifier que leur arrestation, ou leur déportation, étaient effectivement consécutives à des faits avérés d'aide aux aviateurs alliés et non, en l'occurrence, à des faits de résistance armée à l'occupant (auquel cas leur dossier était communiqué au responsable correspondant de la Commission).

Rappelons ici la liaison entre le réseau François-Shelburn et les services secrets anglais. Le compte-rendu de fonctionnement du réseau Sheburn, qui figure aux Archives du Service Historique de la Défense36 indique, dans la rubrique « IDENTIFICATION » :

36 : Cote 17P214 - Shelburn

« [...]

e) Travailliez-vous pour le compte de la France Libre, ou avec un E.M. Allié ? Préciser lequel.

Le Réseau était considéré comme une unité militaire britannique dépendant de l'E.M. Britannique (I.S.9., sous les ordres du Brigadier Crockett, et plus spécialement le Colonel Langley, dit Jimmy Lang). [...]

g) Avec quels représentants officiels français, ou alliés, étiez-vous en contact au sujet de votre Réseau, pendant la clandestinité et à la Libération ?

- Pendant la clandestinité, le Réseau était en relation journalière avec le Colonel Langley, par radio ou par lettres portées par des bateaux de la marine de guerre37.

- Après la Libération, les officiers de l'I.S.9., dont le radio du Réseau, furent délégués à Paris au B.R.A.A.E.A.38 4, rue de Valois, dont les chefs furent successivement les majors D.DARLING et H.WHITE, et actuellement39 le S/LDR WILLS.

37 : Après le début des missions "Bonaparte".

38 : Bureau de Recherches sur l'Aide Apportée aux Evadés Alliés.

39 : Le document est daté du 2 mai 1946.

D'où la précision apportée par un document40 de la Commission, daté du 16 janvier 1947, d'origine non identifiée, à propos des agents reconnus isolément : « Leur activité a été vérifiée par les services américains et anglais (chargés de la recherche sur l'aide apportée par des Français à leurs nationaux). »

Voir en annexe les attestations délivrées par l'Intelligence Service

La douloureuse comptabilisation des isolés arrêtés, déportés, décédés, ne doit pas nous faire oublier ceux, qui très nombreux, agissant dans des conditions similaires d'aide aux aviateurs, sont, fort heureusement, parvenus à échapper aux recherches de la police allemande. Beaucoup nous sont connus à travers de nombreux récits - y inclus ceux émanant indirectement des aviateurs évadés - et plus encore de nombreux sites Internet. On verra au chapitre "Mémoire" combien les aviateurs alliés rescapés, et leurs descendants, sont restés fidèles aux "helpers41" qui les ont recueillis, à leurs descendants et aux lieux où les événement se sont passés.

L'exemple "français" le plus typique pourrait être la description que donne Dominique Lecomte, dans son "Tail end Charlie42 - 8 février 1944 - Fin de mission dans le ciel de Montdidier", en 7 pages difficiles à condenser. On y voit agir - autour de l'aviateur américain Robert Lorenzi43, chef de bord d'un B17 abattu par les Allemands près du petit village de Le Cardonnois dans la Somme : les deux cousines Lucienne Mortier et Charlotte Bizet (qui le découvrent), Claire Girard, qui parle un peu d'anglais (arrêtée par les Allemands en août 1944, suite à d'autres actions de résistance, elle sera fusillée), le docteur de Léaucourt (qui lui extirpa, à vif, un éclat d'obus), Albert Antoine, Marcel Gilbert (qui le transportèrent dans une charrette de paille jusqu'à la ferme de ce dernier), la famille Pamart (qui lui apporta des soins), Pierre Bruyant (qui échappa plus tard de justesse aux gendarmes Allemands), le docteur Edmond Caillard (qui le véhicula avec deux autres aviateurs du même équipage recueillis également), l'abbé Louis Dutriaux responsable de résistants locaux, Louis Girard, Pierre Coulon (qui les logea), Achille Couradin (qui founit des provisions). Finalement le 12 février, 4 jours après le crash : « Quelqu'un frappait à coup répétés sur le portail au fond de la cour. Ce fut un moment de stupeur. Les quatre aviateurs regagnèrent vite l'étage dans l'obscurité. Inquiet, Pierre Coulon se décida à sortir et apprit avec soulagement qu'il s'agissait d'un membre de la Résistance. Cet homme nommé « Jacky », de son vrai nom Jacques du Pac, était membre de l'Intelligence Service et opérait pour le réseau Shelburn. Il sillonnait la région pour interroger tous les aviateurs et leur posait des questions pièges. Il parlait couramment plusieurs langues et connaissait l'argot américain. Il s'agissait pour lui de détecter d'éventuels espions. »

40 : Archives du Service Historique de la Défense - Cote 17P214 Shelburn

41 : helper : en anglais celui qui aide, le sauveteur.

42 : (op.cit)

43 : Dont l'exemple d'évasion est cité dans le chapitre "Aviateurs évadés".

4.2.5. Synthèse globale des informations

Les archives du Service de la Défense44 regroupent, à ce sujet :

A : - Des "Etats nominatifs des agents SHELBURN" pour chacune des catégories P2, P1 et O. Ce sont apparemment les actes sur lesquels a travaillé la Commission en juillet 194745 (Chef de Réseau : P. Campinchi, et Liquidatrice : Marie-Rose Zerling) En effet, manuscrits, ils comportent beaucoup d'ajouts, de suppression (personnes déjà liquidées avec d'autre réseaux), rapatriement de déportés, identification de décès dans les camps, corrections de noms, prénoms ou adresses ...(ce qui montre l'ampleur et la méticulosité du travail). Difficiles à analyser, ils sont accompagnés d'une fiche de synthèse :

« Grade P2 : 55546
  Grade P1 : 208
  Grade O :  106
  Total :    869 agents »

Soit beaucoup plus (869 / 300) que ceux relevés sur les documents des archives de P. Campinchi. Deux raisons peuvent justifier cette différence :

- le fait que le cahier des archives de Paul Campinchi soit très antérieur (environ août 1945, puisque des déportés rapatriés y figurent), au travaux de la Commission (juillet 1947).

- le cloisonnement ait fait que des groupes, ou des sous-groupes localisés, aient échappé à l'analyse faite immédiatement après la Libération, la Commission jugeant que la communauté de la tâche "évasion des aviateurs alliés", qu'ils avaient remplie, permettait de les fédérer, administrativement, avec le réseau "François-Shrelburn".

44 : Cote 17P214 - Shelburn.

45 : Il arrivait encore à la Commission, en 1957 (soit 12 ans après la fin de la guerre) des demandes de prise en compte d'actions d'aide aux aviateurs, ce qui peut faire penser que certains n'avaient pas eu connaissance plus tôt des possibilités offertes dès les années qui suivirent la guerre. Il convient de rappeler qu'à cette époque la télévision apparaissait à peine ; pour informer ces personnes (particulièrement les isolés, qui ne disposaient pas de l'aide structurée des réseaux) de leurs droits, il n'existait que la radio, encore peu répandue, la presse et l'affichage.

46 : Le document n'indique pas, mais cela est probable, compte tenu du nombre élevé de personnes de niveau P2, que ces 555 agents incluent les internés de plus de 3 mois ainsi que les déportés rentrés ou décédés.

B : Des "Etats nominatifs des Isolés47 évasions", synthétisés par :

« Année 1940 : 21
    "   1941 : 61
    "   1942 : 11948
    "   1943 : 151
    "   1944 : 149
Total : 501 agents
dont : 191 déportés non rentrés
       200 déportés rapatriés
       110 internés [plus de 6 mois49] »

47 : Tous assimilés au grade P2, pour les raisons signalées au paragraphe 4.2.4.

48 : Il est évident que les agents isolés notés dans les années 1940, 1941 et 1942, arrêtés pour avoir aidé des aviateurs alliés, ne peuvent être considérés comme ayant "travaillé" occasionnellement pour le réseau "François Shelburn", reconnu comme tel au 1er mars 1943. La Commission ne les a rattachés à cette structure que par une opportunité administrative.

49 : Il n"a pas été possible de lever avec certitude le doute (3 ou 6 mois) concernant le temps d'emprisonnement pris en compte par la Commission pour affecter le grade de P2.

Commentaires :

Il est à espérer que le demi-millier d'agents isolés qui n'ont pu, hélas, échapper, ni à la police allemande, ni aux camps de concentration nazis, ne constituaient qu'une partie limitée des Français patriotes qui, malgré les horribles sanctions prévues par l'occupant, sont d'une façon ou d'une autre, venus en aide à des aviateurs alliés en difficulté. Leurs actions ponctuelles, autour du lieu de crash d'un avion, ont échappé aux critères retenus par la commission d'homologation.

Tous, hommes et femmes, membres du réseau, ou intervenants isolés, leur nombre s'avère donc difficile à évaluer avec précision. Chacun d'eux a oeuvré au niveau où il lui était possible d'agir efficacement. Leur exploit collectif a fait le "miracle Shelburn", s'ajoutant à tant d'autres actions méritoires.


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