Aviateurs transférés en Grande Bretagne par le réseau

Selon les informations disponibles, les bombardements effectués pendant la 2ème guerre mondiale par les alliés (Royal Air Force et USA Air Force) étaient particulièrement massifs sur les régions industrielles allemandes. En 1944 une telle mission aérienne était constituée de 1000 à 1200 bombardiers quadrimoteurs1; escortés par 800 chasseurs ; en moyenne 37 avions étaient abattus (soit par les avions de chasse, soit par l'artillerie allemands) et 260 aviateurs étaient perdus lors d'une mission. Les trajectoires jusqu'aux objectifs passaient au dessus du nord de la France, de la Belgique, de la Hollande et du Luxembourg (ainsi, bien sûr, qu'au dessus de l'Allemagne elle-même). Les aviateurs tombant en territoire allemand avaient, évidemment, peu de chance d'échapper à leurs ennemis2. Par contre sur les territoires occupés, des réseaux ont été mis en place pour leur venir en aide3. Seuls seront cités ici certains dea aviateurs qui ont été pris en compte par le réseau "François Shelburn" et, ponctuellement, par le réseau "Bourgogne" de Georges Broussine. Sur leur trajectoire vers l'Allemagne, les crashes des avions en France se situaient majoritairement dans les départements de l'Aisne, des Ardennes, du Nord, de l'Oise, du Pas de Calais et de la Somme - zone occupée par les Allemands. C'est donc là que s'effectuait principalement leur recueil, leur identification et leur premier hébergement4 (accompagné de faux papiers, cartes d'alimentation et d'habillement civil).

Note 1: La brochure "Tail end Charlie" de Dominique Lecomte (op.cit.) donne un exemple des formations aériennes utilisées.

2: Selon les conventions internationales de La Haye, les aviateurs tombés vivants en territoire ennemi étaient considérés comme prisonniers de guerre et devaient être, humainement, traités comme tels.

3: Voir, en particulier, dans la "Bibliographie", quelques-uns des sites qui présentent le réseau "Comète".

4: On verra au chapitre "Liquidation" les risques qu'encouraient les personnes leur venant ainsi en aide.

Officiellement créé début mars 1943, le réseau "François", ou plutôt "l'Organisation François" comme l'appelaient ses membres, se trouva en liaison avec Val Williams et Raymond Labrosse, chargés par le MI9 de la mission Oaktree, peu après leur parachutage en France le 20 mars 1943. Val Williams avait également pris contact avec Elisabeth Barbier (responsable du réseau Vaneau5) ainsi qu'avec les réseaux Mithridate et Comète. Ce mélange des réseaux, dans la recherche d'une aide locale, fut probablement une faille dans leur sécurité6, qui entraîna une coupe sombre dans certains d'entre eux : Val Williams fut lui-même arrêté, une bonne partie du réseau Vaneau fut déportée en Allemagne, et Paul Campinchi échappa de justesse à l'Abwehr venue à son domicile ainsi que sur son lieu de travail à la Préfecture de Police7.

5: Du nom de la rue, près de Montparnasse, où elle habitait, au n° 72.

6: P. Campinchi s'en souviendra à la fin de la mission Oaktree, lorsqu'il réorganisera son réseau de façon à minimiser les risques de pénétration ennemie.

7: Comme il le signale dans ses archives, c'est sous son propre nom que ce premier dossier de recherche de Paul Campinchi était ouvert par l'Abwehr (Police militaire), son lieu de travail et son domicile ayant été identifiés. C'est à partir de cette date qu'il prit le faux nom de Julien Tagny. Un autre dossier sera ensuite ouvert par la Gestapo (police secrète), sous son pseudonyme de "François".

Nous avons vu au chapitre "Reconstitution chronologique du réseau" que la mission Oaktree ne parvint pas à concrétiser l'embarquement sur des navires de la Royal Navy ; les nuits d'été n'étant pas propices à une approche discrète de la côte, le MI9 décidant finalement de suspendre l'opération jusqu'à une date indéterminée. Les aviateurs déjà amenés en Bretagne furent convoyés à nouveau vers Paris, et beaucoup d'entre eux confiés au réseau Bourgogne, qui les fit passer par l'Espagne après la traversée des Pyrénées8. Le réseau continua évidemment à venir en aide aux aviateurs recueillis après le crash de leur avion, leur évasion par voie terrestre étant prise en charge ensuite par des réseaux structurés pour ce type d'action. Il s'avère particulièrement difficile, avec les archives disponibles en France, de quantifier les résultats effectifs de l'Organisation François pendant cette phase9.

8: C'est lors de l'un de ces convoyages vers les Pyrénées que fut arrêté Val Williams.

9: Georges Broussine dans "L'évadé de la France libre" (op.cit.) indique, pour toute la période de la guerre, 268 noms d'aviateurs pris en compte par le réseau Bourgogne - qu'il dirigeait - pour la traversée des Pyrénées vers l'Espagne ; cette liste ayant été établie, plus spécialement, à partir des rapports des évadés à leur retour en territoire allié.

La Royal Navy reprit la préparation d'évasions par voie navale, sous forme de la mission Shelburn, par le parachutage, dans la nuit du 16 au 17 novembre 1943 d'une équipe de deux militaires canadiens Lucien Dumais et Raymond Labrosse. Le réseau "François" reconstitué et dirigé par P. Campinchi tel que décrit dans les chapitres "Introduction", "Reconstitution chronologique du réseau" et "Structure officielle du réseau" assurait : - avec ses équipes du Nord et de la région parisienne : le travail en amont (recueil des aviateurs, contrôle, logement, faux documents, hébergement, convoyage) - et, avec sa branche bretonne, les actions locales10 (récupération des aviateurs à la gare de St Brieuc, convoyage et hébergement locaux, accompagnement jusqu'à la plage de départ. Labrosse étant en charge des liaisons radio préparatoires aux actions11 ; Dumais, quant à lui, était chargé d'assurer la prise de contact avec les personnels de la royal Navy au moment de l'embarquement.

10: Les actions, particulièrement périlleuses, des diverses équipes locales ont été décrites en détail, tant par les participants eux-mêmes que par des historiens (voir bibliographie).

11: Voir dans le chapitre "Radio-communications" les confirmations, ou annulations, des missions à travers la radio publique anglaise.

Les opérations maritimes débutèrent la nuit du 29 au 30 janvier 1944, et ne se terminèrent que le 9 août 1944, deux mois après le débarquement en Normandie du 6 juin.

Pour le détail de ces diverses opérations d'évasion nous avons deux sources possibles :

1- les informations venant des alliés Anglais et Américains.

2- celles d'origine française.

1 - Sources anglaises et américaines

Les historiens Anglais disposent de deux types de documents : Les ordres de mission de la Royal Navy qui procédaient à l'embarquement et au transport des aviateurs. Les listes d'accueil des aviateurs rapatriés, associées aux comptes rendus d'interrogatoire individuels systématiques mis en oeuvre par les services secrets militaires : MI 9 pour les aviateurs Anglais, MIS-X pour les Américains12.

12: Le site http://www-netherlands-escape-lines.com/research/national-archives-research/escape-evasion-reports-available-on-line/ donne des informations individuelles, "RESTRICTED" à l'origine, maintenant déclassifiées. Chacune d'elles donne des détails concernant l'aviateur lui-même, l'équipage de l'avion auquel il appartenait, sa position dans la formation aérienne, l'adéquation des moyens de secours mis à sa disposition au moment de son départ en mission, des indications sur ses conditions d'accueil et d'aide pour l'évasion par des civils français.

1.1 Missions de la Royal Navy

Il existe une liste officielle13 des missions de la Royal Navy procédant aux embarquements à la plage de Plouha dans les Côtes d'Armor :

« Opération SIS/MI9 Bonaparte 1 - nuit du 29 au 30 janvier 1944 - Vedette MGB 503, commandant Mike Marshall.

=> 16 aviateurs

Opération SIS/MI9 Bonaparte 2 - 26/27 février 1944 - MGB 503 (Mike Marshall)

=> 17 aviateurs

Opération SIS/MI9 Bonaparte 3 - 16/17 mars 1944 - MGB 503 (Peter Williams)

=> 24 aviateurs

Opération SIS/MI9 Bonaparte 4 - 19/20 mars 1944 - MGB 503 (Mike Marshall)

=> 16 aviateurs + 1 cuisinier Indien

Opération SIS/MI9 Bonaparte 5 - 22/23 mars 1944 - MGB 503 (Mike Marshall)

=> 26 aviateurs

Ces cinq opérations "Bonaparte" furent suivies, après le débarquement du 6 juin 1944, de 3 autres missions, à vocation plus particulière :

Opération CROZIER 1 - 12/13 juillet 1944 - MGB 503 (Mike Marshall)

=> 14 aviateurs

Opération CROZIER 2 - 23 juillet 1944 - MGB 503 (Peter Williams)

=> 2 aviateurs + 3 agents secrets Anglais identifiés,

Opération CROZIER 3 - 9 août 1944 - MGB 718 (Lt R.Seddon) »

Soit au total : 8 missions de la Royal Navy et 116 militaires, majoritairement Amréricains (les listes nominatives correspondantes de ces aviateurs sont disponibles sur de nombreux sites14 et ne seront donc pas reprises ici) et 3 agents secrets.

13 : Plusieurs sources donnent la même information, en particulier : Keith JANES (qui fait lui-même référence aux travaux de : Claude HELLAS, Edouard RENIERE, Fred GEYER, Oliver CLUTTON-BROCK) et Dominique LECOMTE.

14: L'un des sites les plus détaillés est http://www.conscript-heroes.com/escapelines/EscapeLines.htm (op.cit.) élaboré par Keith Janes, avec lequel nous avons eu des échanges et des recoupements de sources particulièrement fructueux.

1.2 Comptes rendus d'interrogatoires

Tous les aviateurs évadés passaient, dès leur retour en Grande Bretagne, devant une commission d'enquête. Les comptes rendus, classés "Secret" à l'époque, ont été déclassifiés et sont accessibles en ligne sur Internet15. Chacun des dossiers individuels comporte une vingtaine de pages : constitution du groupe interrogateur, identité civile et militaire, avion dans lequel il se trouvait, position dans la formation aérienne16, fonction à bord, condition du crash, blessé ou non, utilisation ou non des éléments de secours, adéquation de ceux-ci, accueil et aide à l'évasion par des français - individus isolés ou structure.

15: http://media.nara.gov/nw/305270/EE-348.pdf (le n° est celui attribué à chacun des aviateurs interrogés - ici 348 correspond au sergent Walter Sentkovski.

16: Dominique Lecomte dans son "Tail end Charlie" (op.cit.) donne des informations précises à ce sujet.

Cette dernière partie de l'interrogatoire est manuscrite, rédigée par l'officier interrogateur : il n'est donc pas étonnant que les noms de personnes, de localités et de rues, lus ou entendus par l'évadé, prononcés à l'anglaise, et retranscrites par une personne qui n'était probablement pas francophone, présentent quelquefois des formes difficiles à identifier.

Le plus souvent les intermédiaires français y sont cités par leur pseudonyme, et quelquefois simplement décrits par leur aspect extérieur : « English speaking, school-teacher, about 26 years old, 5 ft 7 inches, 135 lbs, bad complexion, dark wavy hair » ou « 21 years old, about 5 ft 7 inches tall, with light coloured hair and blue eyes [identifié comme étant René Loiseau] ».

A partir de ces sources, le chercheur anglais Keith Janes a réalisé un très rigoureux et important travail de reconstitution17 et de synthèse, associant les noms des aviateurs et des différentes personnes qui leur sont venues en aide (helpers) au cours des diverses phases de recueil, logement, et transport. Nous avons pu ainsi recouper, voire corriger, les informations dont nous disposions mutuellement.

17: Op.cit.

A titre d'exemple, je lui emprunte des détails relatifs au sergent Walter Sentkovski (choisi au hasard parmi d'autres aviateurs cités) rédigés à partir du document de l'interrogatoire :

« S/Sgt Walter J. Sentkoski (#348) [n° individuel dans le fichier américain] was the top-turret gunner of B-17 42-3306 Phoenix which was lost following a mid-air collision with another B-17 and crashed near Sainte-Marie-Kerque (Nord-Pas-de-Calais) on 15 August 1943. Sentkoski was sheltered at Frelinghien - near Armentieres - where he was soon joined by his navigator Joe Birdwell (#471) (Bonaparte 3) and then on 10 September by James King (#343) [...] »

Traduction : « Le S/sgt Walter J.Sentkovski (n° 348) était le mitrailleur de la tourelle supérieure du B-17 42-3306 Phoenix qui fut perdu lors lors d'une collision en l'air avec un autre B-17, et qui s'écrasa près de Sainte-Marie-Kerque (Nord-Pas-de-Calais) le 15 août 1942. Sentkovski fut abrité à Frelinghien - près d'Armentières - où il fut rejoint par son navigateur Joe Birdwell (n° 471)(Bonaparte 3) puis, le 10 septembre par James King(n°343). »

extrait d'interrogatoire

Extrait de l'interrogatoire du Sergent J.Sentkovski

« On 28 October they met Marie-Rose Zerling [Claudette] in Armentieres and she took them to Valenciennes to stay with a M.Ducarne until 26 November when she took them to Paris. They stayed overnight with Claudette's parents at 12 rue St Ferdinand then King was taken to stay with Mlle d'Hespel at 7 rue Maspero and Sentkovski to the 5th floor apartment of M.Mansienne at 10 rue de Geoffroy-Marie for three weeks before rejoining King at 7 rue Maspero. Sentkovski also spent 12 days with Genevieve Robin at 3 rue de la Cité Universitaire before Claudette took him back to rue Maspero. On 19 January Sentkoski and King left for St Brieuc and Plouha with Richard Smith (#349) and Morton Shapiro (#353). [...] »

Traduction : « Le 28 octobre ils rencontrèrent Marie-Rose Zerling [Claudette] à Armentières et elle les emmena à Valenciennes où ils restèrent chez M.Ducarne jusqu'au 26 novembre, quand elle les emmena à Paris. Ils passèrent une nuit chez les parents de Claudette, 12 rue St Ferdinand, King fut alors logé chez Melle d'Hespel, 7 rue Maspero et Sentkovski dans l'appartement de M.Mansienne, au 5ème étage, rue Geoffroy-Marie, pour deux semaines avant de rejondre King au 7 rue Maspero. Sentkovski passa aussi 12 jours Chez Geneviève Robin, 3 rue de la Cité Universitaire, d'où Claudette le ramena rue Maspero. Le 19 janvier, Sentkovski et King partirent pour St Brieuc avec Richard Smith (n° 349) et Morton Shapiro (n° 353). »

On voit donc que cet aviateur, dont l'avion a été abattu le 15 aoùt 1943, a passé un peu plus de 5 mois en France avant de faire partie du 1er transfert depuis Plouha (Bonaparte I, les 29/30 janvier 1944) par la Royal Navy, avec plusieurs lieux et logeurs successifs. On y note aussi que, en contradiction totale avec les règles impératives de sécurité, les intervenants sont cités par leur nom et non par leur pseudonyme, ce qui prouve qu'au cours de cette longue période d'attente du départ, une certaine familiarité s'établissait entre les aviateurs et les personnes qui les prenaient en charge.

2 - Sources françaises

2.1 Liste élaborée par Roger Huguen18 et Dominique Lecomte19

18 : Op.cit.

19 : Courrier personnel à D.Droniou.

"Bonaparte I - 29/30 janvier 1944 - MGB 503 (Mike Marshall)

3 aviateurs RAF [Armée de l'Air anglaise]

13 USAAF [Armée de l'Air américaine]

Bourychkine "Val Williams", agent secret de la mission Oaktree20 et un Russe évadé de Rennes avec Val Williams.

20 : Dans le livre "Une héroïne de la Résistance" (op.cit.), Marie-Thérèse Le Calvez place cette évasion dans la seconde mission Bonaparte.

Bonaparte II - 26/27février 1944 - MGB 503

1 RAF

16 USAAF

Arrivée : Michel Bourgeois, alias "Maxime", agent du réseau Bourgogne et Martin Mary, alias "Jacques", radio-opérateur du même réseau

Bonaparte III - 16/17 mars 1944 - MGB 502 (Peter Williams)

1 RAF

23 USAAF

Bonaparte IV - 19/20 mars 1944 - MGB 503

1 cuisinier nommé Buland Khan du Royal Indian Army Service Corps [prisonnier évadé]

16 USAAF

1 agent secret alias "Mickey" selon les rapports des aviateurs ; s'appellerait Georges Le Droff, selon Elmer D.Risch.

Bonaparte V - 22/23 mars 1944 - MGB 503

5 RAF

21 USAAF

Départ de 2 volontaires : Jean Tréhiou et Le Bouris.

CROZIER I - 12/13 juillet 1944 - MGB 503

6 RAF

4 USAAF

3 marins britanniques restés à terre lors de l'opération REFLEXION (15 juin 1944) - MGB 718 (Lt R. Seddon).

1 agent opérateur-radio canadien Robert Vannier

1 capitaine SAS Le Blond, Cdt base Samwest (Duault)

CROZIER II - 23 juillet 1944 - MGB 502

1 RAF

1 USAAF

3 SAS [agents secrets]

1 évacué : Jean Gicquel

CROZIER III - 9 août 1944 - MGB 503

1 SAS

2 agents français."

Soit au total : 8 missions de la Royal Navy et 139 personnes exfiltrées (18 aviateurs Anglais, 104 Américains, 3 marins Anglais et 14 agents secrets)

2.2 Liste élaborée par http://forcelanding,pagesperso-orange.fr/shelburn.htm21

21 : Op.cit.

Date des évasions Nombre d'évadés
28 janvier 194418
27 févier 194421
17 mars 1944 30
23 mars 194426
29 mars 194420
12 juillet 194418
13 juillet 19446
23 juillet 1944 3

Soit au total : 8 missions de la Royal Navy et 142 aviateurs

2.3 Liste extraite du rapport22 Le Cornec Voir ce rapport sur les activités du lieutenant Pierre Huet - pseudonyme Clément.

22 : Pièce jointe à courrier de MM. Guy Hurevois et Daniel Loison (Côtes d'Armor) à D.Droniou.

Date des évasions Nombre d'aviateurs évadés
29 janvier 194418
27 février 1944 19
17 mars 194425
20 mars 194419
24 mars 194430
12 juillet 194415
24 juillet 19446

Soit au total : 7 missions de la Royal Navy et 132 aviateurs

2.4 Plaque commémorative apposée le 23/06/1946 sur la plage de Plouha, face à la mer

Plaque commémorative à Plouha

ANSE COCHAT - PLAGE BONAPARTE

PENDANT L'OCCUPATION LE RESEAU FRANÇOIS SHELBURN A EMBARQUE DE

CETTE PLAGE VERS LONDRES 13523 AVIATEURS ET AGENTS ALLIES

ET ACCUEILLI 8 CHARGES DE MISSION

EN MEMOIRE

DES 23 MEMBRES DU RESEAU SHELBURN

MORTS POUR LA FRANCE

ET DE L'EQUIPAGE

DE LA CORVETTE BRITANNIQUE 503

PERI EN MER

23 : C'est moi qui souligne.

2.5 Manifeste des patriotes du réseau Shelburn, daté de 1949 : opérations d'évasion effectuées par les membres du réseau Shelburn dans la baie de l'anse Cochat dans les nuits sombres de 1944)24.

24 : Texte manuscrit rédigé par Job Menguy, Pierre Huet, François Le Cornec et Francis Baudet, en 1949 : http://sallevirtuelle.cotesdarmor.fr/asp/inventaire/plouha/Geoviewer/Data/html/IA22005654.html

"De cette baie, nous avons eu la chance de pouvoir diriger sur l'Angleterre et Darmouth 135 aviateurs alliés tombés sur le sol de France :

94 aviateurs US (américains)

41 aviateurs britanniques

1 aviateur belge

1 aviateur indien

1 aviateur russe."

3 - Remarques

On note quelques petites divergences entre les diverses sources relativement aux dates, à la nationalité et aux nombres d'évadés. D'une part la tâche basique du réseau, et de la mission de la Royal Navy associée, était de renvoyer en priorité les aviateurs en Grande-Bretagne. Certains agents non aviateurs ont, suivant les circonstances du moment, pu bénéficier de cette exfiltration, sans figurer cependant sur les listes d'aviateurs. L'un des cas les plus typiques est celui de Val Williams, blessé lors de son évasion de la prison de Rennes - avec l'aide du réseau "François-Shelburn" - que Paul Campinchi souhaitait voir retourner au plus vite en Angleterre, alors que Dumais s'y opposait, arguant des consignes reçues. Les sources françaises citent son embarquement, mais non les sources anglaises. Marie-Thérèse Le Calvez dans "Une héroïne de la Résistance25" donne des détails de l'opération, particulièrement difficile car le blessé était transporté sur une civière ; par contre - on l'a vu - elle indique un départ lors de la mission "Bonaparte II" alors que d'autres l'incluent dans la "mission Bonaparte I". Il est très probable que, pour des raisons évidentes de sécurité, et surtout compte tenu des conditions extrêmement dangereuses et de la rapidité de ces phases d'action, les membres locaux du réseau n'aient pas pu tenir une comptabilité très détaillée des identités et du nombre d'aviateurs pris en compte à chacune des missions. Les documents semblent donc avoir été reconstitués, de mémoire des intervenants, après la Libération. Les navires, en venant d'Angleterre, amenaient quelquefois des agents et apportaient, dans des valises : de l'argent, des émetteurs, des vêtements (dûment francisés au niveau des boutons, des étiquettes, etc), du tabac (sous emballage français) et des armes pour le maquis26.

25 : Op.cit.

26 : A noter que Paul Campinchi était contre le port d'une arme par les membres de son réseau, de façon à ne pas aggraver la situation en cas d'arrestation.

4 - L'un d'entre eux

Afin que cette comptabilisation d'aviateurs évadés soit éclairée par les personnalités des jeunes militaires Anglais et Américains dont il s'agissait, j'emprunte à Dominique Lecomte dans son "Tail end Charlie"27 (op.cit.) - avec son aimable autorisation - quelques données, synthétiques, relatives au lieutenant Robert Lorenzi.

27 : Ce document est pour nous spécialement intéressant car, axé sur l'épopée d'un équipage bien particulier - dont les membres ont raconté les détails après la guerre - il fait bien ressortir l'articulation des différentes phases du processus particulièrement complexe de recueil, d'hébergement, de dotation de fausse identité de transfert, puis d'exfiltration, qui nécessitait, c'est évident, l'existence d'un responsable central à haut niveau.

Né en novembre 1922, dans l'état de Washington, R. Lorenzi entra dans l'Army Air Force des Etats Unis en mars 1942. Breveté pilote de bombardier, il y reçut un entraînement intensif et devint commandant de bord sur B 1728. Suivit une formation de navigation de nuit à des altitudes de 20 000 pieds, une familiarisation à l'exposition aux basses températures et à l'utilisation correcte du système à oxygène pour tout l'équipage. Affecté au 452ème Groupe de bombardement il fut envoyé en Angleterre début 1944.

portrait du Lt Robert Lorenzi

Lieutenant Robert Lorenzi à l'époque

28 : La célèbre "Forteresse volante".

Sa première mission, avec un équipage constitué de 3 autres lieutenants et de 6 sergents, alors qu'il vient à peine d'avoir 21 ans, eut lieu le 8 février 1944 sur Francfort. Lors du retour l'avion fut touché par la Flak, puis attaqué par des chasseurs allemands. A l'exclusion de Lt Rosenthal, mort au cours du combat aérien, tout l'équipage sauta en parachute, l'avion s'écrasa près du village de Le Cardonnois, proche de Montdidier dans la Somme. Cinq des aviateurs tombèrent entre les mains des Allemands. Les quatre autres furent recueillis par diverses familles locales et, pour certains, blessés, - dont Lorenzi - soignés, par des médecins29. Le premier contact avec le réseau François-Shelburn fut l'interrogatoire d'identification par Jacky (pseudonyme de Jacques du Pac de Marsoulies30). Après d'autres hébergements locaux de plus d'un mois, ils furent, le 16 mars suivant, pris en compte par des convoyeurs du réseau (René Loiseau et Geneviève de Poulpiquet) qui les hébergèrent chez des logeurs du réseau ([parents de René Loiseau], Yvonne Latrace, Marguerite di Giacomo, Bertranne d'Hespel. Yvon (pseudonyme de Marcel Cola) leur donna de faux papiers avec des identités bretonnes permettant l'accès à la zone côtière interdite. René Loiseau les conduisit en métro à la gare Montparnasse où Henri Bois les remit entre les mains de jeunes convoyeurs. A St Brieuc l'équipe bretonne se chargea de les convoyer (dont, localement, François Kerambrun, et d'autres), de les loger (Lorenzi le fut chez Jean-Marie Le Sommier), puis de les emmener (François Le Cornec, Pierre Huet, Joseph Mainguy - pseudo Job - Marie Thérèse Le Calvez), vers la plage de Plouha - en passant par la "Maison d'Alphonse", mise à la disposition de l'équipe par Jean et Marie Gicquel, lieu de regroupement avec d'autres aviateurs bénéficiant également de l'opération "Bonaparte IV") - pour y procéder à l'embarquement sur le navire anglais.

29 : Ces personnes, (dans le cas présent fort bien identifiées par Dominique Lecomte dans ses recherches) sauf celles qui appartenaient à des équipes de résistance, ont généralement été - lors de la Liquidation des réseaux - considérés comme "Agents O," terme qui, désignait ceux qui, de façon occasionnelle, avaient pu être employés par un réseau, sans cependant y appartenir. Ils ne répondaient donc pas à l'ensemble des critères retenus - voir chapitre "Liquidation" - pour avoir le statut de "Combattant volontaire de la Résistance", sauf lorsqu'ils avaient été déportés ; et ce, bien qu'ils aient encouru les mêmes dangers.

30 : Sont repérés en gras tous les intervenants membres identifiés du réseau François-Shelburn, sans certitude qu'il n'en existe pas d'autres, involontairement oubliés.

D.Lecomte narre aussi que R. Lorenzi partit avec quelques souvenirs, dont son attestation de résidence et, étonnant, le ticket du métro qui le conduisit à la gare Montparnasse, ainsi que son billet de train daté du 17 mars 1944. On verra au chapitre "Mémoire" combien a été grande la reconnaissance des aviateurs aux familles qui les ont secourus, sentiment qui se poursuit encore par la venue en France de leurs descendants.


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